OUISTREHAM, la douleur silencieuse
Dans le cadre du festival du film français à Rome, le Master Médias a pu assister à une projection du film Ouistreham (Tra due mondi en italien) d’Emmanuel Carrère, dans les magnifiques locaux de l’Ambassade de France à Rome.
Ouistreham : certains diraient que c’est l’histoire d’une catégorie sociale, mais nous nous arrêterons simplement sur l’idée d’un témoignage. Le témoignage de ceux qui nettoient, balaient, dans l’ombre qui s’agitent à grands bras, à coup de plumeau et de serpillière, pour que d’autres puissent continuer à vivre leur vie tranquillement, dans une propreté artificielle.
C’est un cri déchirant, pour nous faire entendre une douleur silencieuse, de ceux qui n’en peuvent plus, de s’user physiquement, dans un monde où la faute équivaut licenciement, pour un salaire loin d’être à la hauteur de l’investissement mental demandé.
Ouistreham, c’est aussi l’histoire d’une écrivaine à succès, une personne de la lumière, reconnue, appréciée, mais qui n’en peut plus d’entendre parler de de la précarité, de la misère, et qui a envie de comprendre, ce que les gens vivent au quotidien, qui veut sentir au plus profond de sa chair le sens du mot empathie. Alors, dans l’espoir d’un livre plus juste, plus proche de la réalité, elle décide de tout plaquer, sa vie, sa famille, ses amis, son téléphone, pour s’immerger dans la vie de ces petites mains qui échappent à notre attention.
De ce point de départ naissent des amitiés, des liens, des relations, qui paradoxalement, peinent à nous donner un semblant de sentiment d’égalité, et c’est dans cette fausse intimité naissante, que les inégalités nous ramènent à la triste réalité.
Ce qui nous arrache à ces étreintes, et à cette complicité, c’est le rappel que pour l’une, il suffit de tout plaquer en cas de ras-le-bol, retourner à sa vie d’un claquement de doigt, écrire son prochain livre, faire des millions de ventes, vivre comme avant, en continuant à payer sa femme de ménage et archiver cette épisode de son existence dans la catégorie « expérience », mais ce qui attend l’autre, c’est l’impuissance et de rentrer chez elle toujours plus exténué, et de se réveiller le lendemain avec le sentiment que rien n’a changé. Pour l’une la bouée de sauvetage au bout des doigts, pour l’autre l’enfer, le couloir sans fin, avec le maigre espoir de pouvoir rester apte à travailler jusqu’à la retraite. C’est ça Ouistreham, ce sont des cadences infernales, où seul subsiste la fraternité qui se créé sans quoi le travail en deviendrait tout simplement inhumain.
Le film nous laisse néanmoins avec des questions en suspens, un grand « pourquoi faire ? », avec de multiples perspectives de réponse, mais en nous laissant également à nous-mêmes le soin d’y réfléchir. Cela vaut-il la peine d’aller blesser des personnes qui le sont déjà suffisamment par la vie à coup d’amitiés basées sur des mensonges ? Le tout pour pouvoir mieux faire son métier, faire davantage d’argent sur son prochain projet, au prix d’une immense hypocrisie, en mimant une vie dont on sait pertinemment qu’elle ne sera jamais la nôtre ?
Non, ce n’est pas si simple.
La bande-annonce pose le cadre général du film : « J’en ai marre d’entendre parler de la crise, du chômage, de la précarité de façon abstraite. J’ai besoin de partager le quotidien, pour voir ce qui se passe vraiment. », et à travers ce film, on pourrait lui répondre :
« Pensez-vous en être un jour capable ? »
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